Avec de bonnes surprises en rendement et des déceptions sur la teneur en protéines, la récolte 2015 de blé tendre soulève de nombreuses interrogations. Certaines contre-performances, notamment en protéines, ont parfois été attribuées aux outils de pilotage de l’azote. Que faut-il en penser ?
79 q/ha, c’est 4 q/ha de plus que la récolte 2014. Ce nouveau record de rendement pour le blé tendre, en moyenne France, s’accompagne d’une teneur en protéines de 11 % (contre 11,1 % l’an dernier). Cette situation moyenne cache cependant une diversité de contextes et notamment des teneurs en protéines parfois décevantes au regard des efforts de conduite réalisés sur le terrain.
Le déploiement des outils de pilotage de la fertilisation azotée a en effet connu un succès sans précédent en 2015 puisqu’il a dépassé pour la première fois le million d’hectares, principalement sur blé tendre.
Une conjonction de contraintes climatiques
Les raisons de cette faible teneur en moyenne se trouvent dans le parcours de la culture : le scénario climatique très particulier de cette campagne a conduit à la mise en place d’un très bon potentiel de rendement avant la rupture brutale de la nutrition azotée pendant le remplissage.
Effet dilution par le rendement
La teneur en protéines a donc été victime d’un premier effet, maintenant bien connu, de « dilution » dans de nombreuses régions, les rendements exceptionnellement hauts conduisant à une dilution des protéines dans le grain.
Pluviométrie erratique pendant la montaison
Cependant, le scénario de constitution des protéines dans le grain a commencé à se dessiner plus tôt, pendant la montaison, avec une certaine difficulté à trouver des créneaux favorables à l’absorption de l’engrais azoté. Rappelons qu’il faut au moins 15 mm de pluie cumulée dans les 15 jours pour que les conditions d’absorption soient satisfaisantes. Ces conditions n’ont été rencontrées qu’à trois périodes du printemps : fin février, fin mars et fin avril ; en dehors de ces créneaux (identiques pratiquement partout en France), la valorisation des apports d’azote était compromise.
Ainsi, les dates d’apport peuvent expliquer à elles seules des teneurs en protéines différentes obtenues dans une même région et un même type de sol.
Double peine en fin de cycle
Le stress hydrique de fin de cycle, très intense, a eu aussi un impact sur la nutrition azotée.
D’abord un assèchement rapide et persistant des sols a limité, dans les sols à faible réserve, l’absorption tardive d’azote dont on sait que le transfert vers le grain est en général efficace. Ensuite ce stress hydrique s’est accompagné d’un défaut de minéralisation du sol. Cette conjoncture a généré, dans les sols à faible réserve, de faibles rendements avec de faibles teneurs en protéines.
Fort heureusement, il y a aussi des parcelles à teneurs en protéines correctes qui ont bénéficié de conditions climatiques favorables ou d’un ajustement de la dose d’azote en cours de montaison.
Les outils de pilotage sont-ils en cause ?
Certaines contre-performances en protéines ont parfois été attribuées aux outils de pilotage de l’azote. C’est un sentiment qui est démenti par la statistique du pilotage Farmstar qui concerne plus de 50 000 parcelles en 2015. Dans 60 % des cas, l’outil a conseillé au final une dose supérieure à la dose initiale calculée, et dans 5 % des cas seulement une dose inférieure. D’autres outils comme JUBIL, Yara N-Tester… sont tout à fait valables pour piloter la fertilisation azotée.
Cette année, le défaut d’absorption d’azote ne s’est pas manifesté avant la floraison, comme c’est souvent le cas, mais bien en post-floraison. Ce scénario, très rare, est imprévisible et en dehors du champ d’utilisation des outils de pilotage. D’autre part rapporter de l’azote à ce stade n’aurait servi à rien puisque le stress hydrique persistant a bloqué l’absorption.
Faut-il changer de stratégie l’année prochaine ?
Toutes les années sont particulières mais, 8 fois sur 10, la période de fin avril à début mai offre le plus de conditions favorables à l’absorption des apports d’azote. Il est donc logique et très souvent payant de peser sur le rendement et la teneur en protéine avec un ou deux apports tardifs. Le pilotage de la fertilisation azotée reste le meilleur moyen de calibrer et de positionner le troisième apport d’azote. Il serait donc hasardeux et contre-productif de se baser sur une campagne atypique comme 2014/2015 pour gérer sa fertilisation azotée.
Quelles sont les voies de progrès ?
D’abord, continuer le développement des outils de pilotage de la fertilisation azotée car ce sont les seuls leviers qui permettent d’ajuster en cours de culture le niveau des apports d’engrais. En revanche, il faut suivre les recommandations générales de fractionnement pour placer ces outils dans les meilleures conditions de fonctionnement : un premier apport d’azote faible autour de 40-50 kg N/ha, la mise en réserve de 40 kg N/ha au deuxième apport et un apport de complément pas trop tôt, avant épiaison.
La diversification de l’offre Farmstar avec des images prises par drones permettra dès 2016 d’enrichir les possibilités de pilotage.
De nouveaux outils de calcul de la fertilisation arrivent sur le marché avec des fonctionnalités qui permettront de mieux prendre en compte la disponibilité de l’azote en fonction du climat (FERTIWEB dynamique). Une plateforme d’expertise agrométéo, disponible pour la campagne 2016, permettra d’apprécier les conditions climatiques en cours de culture en vue d’optimiser les dates d’apport d’engrais.
Par ailleurs, des travaux de recherche sont actuellement conduits pour évaluer le besoin du blé tendre en fonction d’un double objectif : rendement et protéines, comme c’est déjà le cas sur blé dur.
A plus long terme, l’identification de gènes impliqués dans l’élaboration du taux de protéines permettra de sélectionner des variétés productives mais aussi à haut potentiel en protéines.
Jean-Paul BORDES (ARVALIS – Institut du végétal)