L’état d’avancement extrême des céréales à paille d’hiver fait peur à de nombreux producteurs et conseillers, et l’annonce d’une chute de températures en courant de semaine prochaine va forcément raviver de mauvais souvenir chez certains…
Trois mois chauds et secs
Le cumul de températures observé depuis le semis jusqu’à aujourd’hui atteint ou dépasse nettement les références 2007 et 2012.
Partout en France, les céréales d’hiver ont connu des températures supérieures à la moyenne (notamment en décembre), ce qui conduit à des états de croissance et de développement importants et nettement supérieurs aux normales.
L’anomalie de température est la plus forte à l’ouest d’une ligne Toulouse-Verdun, où l’on cumule environ 200°Cj de plus qu’une année médiane (voir carte 1).
En parallèle, les cumuls de pluie (période 01/10/2015 – 04/01/2016) sont partout inférieurs à la normale : 50 % des postes météo étudiées (270 au total) voient leur déficit de précipitation supérieur à 85 mm. Seule la zone Nord-Pas-de-Calais / Picardie / Ile-de-France a un déficit de pluies inférieur à 50 mm.
Carte 1 : Ecart à la médiane 1995/2014 des températures moyennes (base 0) du semis au 5 janvier 2016 (dates de semis régionalisées)
Sources : Météo France et ARVALIS – Institut du végétal
La douceur observée depuis fin octobre est due à la présence persistante d’un anticyclone sur le sud de l’Europe qui bloque les dépressions et favorise des remontées d’air chaud en provenance du Maghreb.
Cette situation dite « de blocage » n’est pas exceptionnelle. L’épisode El Nino en cours est peut-être pour partie responsable de la douceur généralisée en Europe mais pour l’instant aucune étude n’a jamais pu le mettre en évidence.
Un développement avancé, mais moindre que fin janvier 2012
Les dates de semis normales et la faible durée du jour limitent l’avancement des stades.
Il est difficile de juger de l’avancement d’une culture de céréales à paille au beau milieu du tallage, alors qu’aucun indicateur extérieur ne permet de renseigner de manière fiable sur l’état de développement de la plante. Nous allons donc nous appuyer sur un indicateur simple : le cumul de températures depuis le semis. A noter toutefois qu’une partie importante du panel variétal français est par ailleurs photosensible, ce que l’indicateur « somme de température » ne prend pas en compte.
Pour la station météorologique de Boigneville (91), à date calendaire égale (le 6 janvier, date d’arrêt de nos données pour 2016), en prenant en compte les écarts de date de semis médianes observées (avance de 5 jours en 2011-2012, retard de 4 jours en 2014-2015), l’année en cours dépasse nettement les « références » précédentes : 2006-2007, 2011-2012 et 2014-2015. L’écart à la médiane pluriannuelle (20 ans) est de 240°Cj !!
Plus intéressant, en 2011-2012, le cumul des températures entre le semis et l’arrivée du froid (fin janvier) était de 850°Cj comparé aux 760°Cj cumulés au 6 janvier 2016 et aux 800°Cj estimés pour le 13 janvier 2016 (figure 1).
Il faudrait également prendre en compte la photopériode actuelle, qui a un effet de frein sur les cultures ; mais on peut considérer que les cultures sont actuellement moins avancées que lors de l’épisode de gel 2011-2012.
Figure 1 : Comparaison des cumuls de températures de quelques années « remarquables » (station de Boigneville – 91)
Coup de froid en semaine 2, puis redoux ?
Le coup de froid annoncé pour la fin de la semaine prochaine ne semblerait pas être durable.
Les prévisions annoncent l’arrivée d’un flux continental qui s’accompagnera de températures plus fraîches, avec des gelées matinales mais rien de brutal. Le risque de neige en plaine n’est pas exclu. Ce refroidissement devrait perdurer quelques jours avant que les températures ne commencent à remonter.
A plus long terme, les prévisions saisonnières des modèles de l’ensemble EUROSIP pour les mois de janvier à mars n’annoncent pas de vague de froid mais une tendance douce qui devrait se maintenir, et des précipitations plus importantes que la normale, avec une prédominance des vents d’ouest.
Attention toutefois à la fiabilité de ces prévisions qui est très variable à nos latitudes. Certaines simulations laissent entrevoir en fin d’’hiver (fin février – début mars), une ambiance un peu plus froide avec de la neige possible, mais rien d’exceptionnel.
Risques aux cultures : ce n’est pas encore maintenant…
Sur la base de ces prévisions, il n’y a vraisemblablement pas lieu de craindre des dégâts à grande échelle, d’autant plus que le froid devrait essentiellement toucher le nord-est de la France, où l’anomalie de température est moindre. Néanmoins, il n’est pas exclu que certaines situations (exposition) ou combinaisons techniques (variété x date de semis) ne souffrent pas de cet épisode de froid. On nous a déjà signalé le redressement d’un Galibier semé le 20/10 près d’Etampes….
Un retour du froid ultérieurement serait bien plus à craindre, car il interviendrait sur des cultures plus avancées, et éventuellement fragilisées par la première vague de gelées.
Vers un épi 1 cm précoce ?
Si la trajectoire actuelle se poursuit, les stades épi 1 cm seront anticipés de 2 semaines environ, soit à peu près comme en 2007. Mais en termes de phénologie, tout reste encore possible, comme 2014-2015 nous l’a montré. Néanmoins, pour se fixer un peu les idées, voici 2 simulations faites :
– Avec un climat à venir médian → 2016 serait alors plus précoce d’une semaine environ (avec des différences régionales) (carte 2).
– Avec l’hypothèse d’un climat à venir très doux (type 2007, soit une occurrence d’une année sur 10) → on gagnerait encore une semaine de plus, ce qui aboutirait à des stades épi 1 cm dès la mi-février pour le sud et l’ouest, et début mars pour le bassin parisien (carte 3).
Carte 2 : Date estimée de l’arrivée du stade épi 1 cm en cas de températures à venir médianes
Carte 3 : Date estimée de l’arrivée du stade épi 1 cm en cas de températures douces à venir (scénario 2007)
Jean-Charles DESWARTE, Olivier DEUDON (ARVALIS – Institut du végétal)
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