Champagne-Ardenne : Mais il est où l’hiver, il est où ?

Les hivers se suivent mais ne se ressemblent pas. Après un hiver 2017 très sec, la campagne actuelle se caractérise par la succession de séquences pluvieuses assez intenses et accompagnées de températures douces. Une situation qui risque de perdurer. Quelles conséquences sur les céréales d’hiver déjà en place ?

Après un mois d’octobre juste assez arrosé pour assurer de bonnes conditions de semis et de levée des céréales d’hiver, la pluviométrie s’est accentuée en novembre et décembre. Contrairement à l’automne 2016, les réserves en eau du sol se sont rapidement reconstituées, avec un déclenchement du drainage vers la mi-décembre (figure 1). Ce phénomène, relativement précoce, n’est cependant pas complètement exceptionnel par rapport aux observations pluriannuelles.

Figure 1 : Evolution de la réserve en eau du sol (station météorologique de Fagnières – 51)


Les cumuls de pluies enregistrés du 1er octobre au 10 janvier (figure 2) se trouvent généralement dans une « fourchette haute » par rapport à la normale : + 35 mm en moyenne [de + 15 à + 70 mm]. A l’échelle de la Champagne, les précipitations ont été plus élevées sur les Ardennes, l’est de la Marne et de l’Aube ainsi qu’en Haute-Marne (figure 3).

Figure 2 : Cumuls du 1er octobre 2017 au 10 janvier 2018

Figure 3 : Cumuls de pluies du 1er octobre 2017 au 8 janvier 2018

Du côté des températures, on enregistre des excès marqués depuis Noël, ce qui place cette campagne 2018 au-dessus de la moyenne des 20 dernières années, avec des cumuls proches de ceux connus en 2014. Les gelées sont très peu fréquentes cette année, ce qui confirme la tendance pluriannuelle. Le nombre de jours de gels se situera très probablement sous la normale d’ici la fin du printemps (figure 4), ce qui n’exclut pas la possibilité de rencontrer des séquences de gels tardifs.

Figure 4 : Nombre de jours de gel du 1er octobre au 31 mai par année (station météorologique de Fagnières – 51) 
* pour 2018 : du 1er octobre 2017 au 15 janvier 2018

Bon début de cycle dans la plupart des situations

Le plus souvent implantées dans de bonnes conditions, les céréales d’hiver ne souffrent généralement pas du climat actuel. Seules exceptions : les parcelles en vallées qui seraient inondées, ou les semis très tardifs encore peu développés et situés dans des sols peu drainants. En effet, la majorité des parcelles ont atteint le stade tallage, stade où les plantes sont particulièrement résistantes aux excès d’eau temporaires. Si la croissance est pénalisée, voire arrêtée en situation hydromorphe, seule l’immersion totale et durable entraîne une disparition des plantes. Cependant, il est important que les sols les moins drainants [argiles, limons argileux] puissent rapidement s’assainir pour permettre aux racines de devenir fonctionnelles. Celles-ci pourront ainsi absorber l’azote bientôt demandé par les parties aériennes pour le maintien du tallage et la croissance des feuilles.

CÔTÉ AZOTE

Par ailleurs, des lames d’eau drainantes importantes peuvent potentiellement provoquer l’entraînement d’une partie de l’azote du sol sous forme de nitrates. Il est actuellement trop tôt pour connaître la résultante entre les éventuelles pertes de nitrates et la minéralisation du sol, sans doute abondante cet automne [températures douces, sols humides]. Effectuer des mesures de reliquats azotés en sortie d’hiver constitue le meilleur moyen pour évaluer au cas par cas les conséquences de ces séquences climatiques.

Actuellement, le potentiel de tallage est très correct [nombre d’épis potentiels/m²], compte tenu de son lien direct avec les sommes de températures excédentaires observées [de + 70 à + 80 degrés-jours en moyenne]. Si la douceur persiste en février-mars, on pourrait s’orienter vers une année relativement précoce [hors situations d’excès d’eau durables qui retardent le développement].

CONCERNANT LA RÉSISTANCE AU FROID

Même si douceur actuelle à tendance à faire perdre aux céréales leur potentiel de résistance au froid, celles-ci seraient pour l’instant encore tout à fait capable de se ré-endurcir rapidement dès l’arrivée de températures gélives. Cependant, une chute brutale du thermomètre en dessous de – 10 ou – 15°C pourrait engendrer des dégâts [scénario a priori peu probable], tout comme l’arrivée toujours possible d’un « coup de gel » tardif. La séquence climatique des semaines à venir sera donc déterminante.

Un climat doux et humide qui risque de perdurer

Météo France nous indique que le phénomène La Niña, d’intensité modérée, est en cours. Il se caractérise par des températures plus froides que la normale sur une large moitié Est de l’océan Pacifique équatorial, et, à l’inverse, des températures plus chaudes qu’à l’accoutumée au voisinage des Philippines. Les vents dominants de cette partie du monde sont également profondément modifiés. L’ensemble de la machine climatique mondiale est fortement influencée par la présence de La Niña, et, par contre-coup, le climat sous nos latitudes l’est également.

Les modèles numériques de prévision saisonnière, qui prennent bien en compte cette situation, réalisent de ce fait des prévisions particulièrement homogènes pour le trimestre prochain. Une tendance plus chaude que la normale se dégage dans une majorité des simulations climatiques. Concernant les précipitations, le scénario retenu suggère que les perturbations océaniques seront rejetées un peu plus au nord que la normale, apportant un surplus de précipitations sur notre région (source Météo-France).

Alexis DECARRIER (ARVALIS – Institut du végétal)
Mélanie FRANCHE (ARVALIS – Institut du végétal)
Philippe HAUPRICH (ARVALIS – Institut du végétal)