Retour sur ce début de campagne : croissances et sensibilités au gel des linières.
En 2020, le mois d’août et de septembre ont été secs et doux. Les précipitations ont démarré doucement à partir de mi-septembre. Les chantiers de semis ont pu commencer fin septembre et se poursuivre durant le mois d’octobre. La levée des linières a été rapide et homogène. Les précipitations et les températures douces jusqu’à la mi-décembre ont permis au lin de croître au cours de la période automnale.
Des développements différenciés selon la variété
Depuis début janvier, des épisodes de gel successifs ont ralenti son développement.
D’après des mesures effectuées début février, la hauteur des lins est comprise entre 5 et 8 cm dans le secteur sud de Falaise dans le Calvados (semis le 10 octobre), entre 12 et 20 cm en bordure maritime au nord de la Plaine de Caen (semis au 28 septembre) et entre 8 et 13 cm dans le Pays d’Ouche dans l’Eure (semis au 16 octobre).
Une différence de vitesse de croissance peut être observée entre les variétés de lin d’hiver. Dans l’essai de Périers-sur-le-Dan dans le Calvados (figure 1), semé le 28 septembre, c’est Toundra (SCA Terre de lin 2012) qui est la variété la plus développée et à l’inverse Ambre (GIE linea 2018) est celle dont le développement est le moins avancé. Cirrus (SCA Terre de lin 2016) est quant à elle une variété intermédiaire.
Figure 1 : Différence de développement des lins d’hiver en fonction de la variété au 9 février 2021 (pour un semis le 28 septembre 2020)
(A) Variété AMBRE ; (B) variété CIRRUS ; (C) Variété TOUNDRA. (essai à Périers-sur-le-Dan – 14)
Une résistance au froid conditionnée par la croissance du lin
Lorsque le lin d’hiver est bien implanté, il peut résister à des températures de l’ordre de -15°C. Néanmoins, la résistance au froid est plus ou moins importante selon la variété. Cette résistance est très fortement liée à la vitesse de croissance de la plante : elle est maximale entre 5 et 10 cm. Avant 5 cm, le lin est en train de lever, c’est à ce stade qu’il est le plus sensible. A partir de 10 cm, les cellules du lin situées à l’extérieur deviennent turgescentes (remplies d’eau), ce qui rend la plante plus sensible aux changements de température.
Si l’on prend le cas de Cirrus (variété connue pour être l’une des plus résistante au froid), sa vitesse de croissance lui permet de développer un bon système racinaire et de ne pas dépasser les 10 cm avant la sortie d’hiver.
Cette année, il faudra donc être particulièrement vigilant avec la variété Toundra réputée pour être une variété sensible au froid.
Risques évités et risque avérés : les périodes de gel pour cette campagne
La résistance du lin au gel est donc conditionnée par le stade auquel se trouve la culture lors des épisodes de gel. Il convient de raisonner la croissance en prenant en compte les besoins suivants :
– Atteindre 250°C jour (base 5) avant la première gelée (température minimale =0°C)
– Gagner encore 250°C jour jusqu’à atteindre 7 cm avant les gelées plus fortes (température minimale < -5°C)
– Ne pas dépasser les 10 cm avant la sortie d’hiver
Cette année, les températures douces ont permis au lin d’atteindre les 250°C jour fin octobre dans les secteurs les plus chauds (bordure maritime) et mi-novembre pour les secteurs plus continentaux (sud de l’Eure). Les premières gelées sont arrivées début novembre pour les secteurs en jaune et bleu sur la figure 2. Dans ces zones, les lins n’avaient pas atteint les 250°C jour, il est donc possible que cette première vague de froid ait causé des dégâts. Néanmoins, ce premier épisode de gel a duré seulement 2 jours, il a été peu marqué (-1.8°C minimum) et les températures sont vite reparties à la hausse.
Pour les autres secteurs, les premières températures gélives sont arrivées fin novembre (tableau 1). A cette époque, le lin avait atteint les 250°C jour. La première vague de froid n’aura donc pas causé de dégât pour les lins situés dans ces secteurs (en marron et beige sur la figure 2).
Figure 2 : Dates d’atteinte du cumul de 250°C (base 5)
De fin décembre à début janvier, les températures ont alterné entre périodes de gel et températures douces. La variation de températures allant parfois jusqu’à plus 10°C, elle a pu stresser les lins. Mais les plus basses températures ont été enregistrées la semaine du 8 février (tableau 1) : sur l’ensemble du bassin de production, les températures ont atteint les -5°C, avec un minimum de -9°C enregistré à Fontaine-Les-Vervins. A cette date, seules quelques zones en bordure maritime (Dunkerque, Caen) avaient atteint les 500°C jour nécessaires pour ne pas être sensibles à cette vague de froid.
Pour les autres secteurs et pour le lin ayant dépassé les 10 cm (plaine de Caen, Pays d’Ouche etc.), ce dernier épisode de gel risque d’avoir causé de nombreux dégâts.
Tableau 1 : Nombre de jours avec du gel et période de gel durant l’automne-hiver 2020-2021 en fonction des secteurs
Cette période de grand froid a également été accentuée par les conditions très humides dans les parcelles. L’hiver a été marqué par de nombreux épisode de pluies, notamment courant janvier (figure 3). Les secteurs en bordure maritime sont ceux où les cumuls de pluies ont été les plus élevés. Pour certaines parcelles riches en limons, l’eau est restée en surface et a eu du mal à s’infiltrer. Les sols gorgés d’eau ont donc pu accentuer la sensibilité du lin au froid. Enfin, l’intensité des dégâts a également pu être augmentée par les températures douces précédant le gel. Des températures basses auraient permis aux lins de s’endurcir et de réduire leur sensibilité au froid.
Figure 3 : Cumuls de pluies (en mm) entre le 25 septembre 2020 et le 10 février 2021
Comment réagir ?
Au regard de ces éléments, il est nécessaire de venir évaluer les dégâts en plaine. Si votre lin a gelé et présente un aspect misérable, pas de précipitation ! La culture possède un système racinaire souvent conséquent qui va lui permettre de repartir :
– soit au niveau de la tige principale si l’apex n’est pas trop touché
– soit au niveau des bourgeons axillaires
Il convient donc de venir évaluer les dégâts uniquement lorsque les conditions météorologiques seront redevenues plus clémentes, c’est-à-dire à la reprise de végétation. Il faudra alors compter les plantes restantes afin d’évaluer la perte de peuplement engendrée pour décider si la culture est encore rentable.
Si le peuplement est supérieur à 900 plantes/m², la linière doit être conservée tout en sachant que le rendement ne sera pas optimal. Il est recommandé dans ce cas d’éviter toute intervention dans les jours à venir.
Si le peuplement est inférieur, il est envisageable de détruire la linière et d’implanter une culture de printemps.
Benoît NORMAND (ARVALIS – Institut du végétal)
Pauline BREGEON (ARVALIS – Institut du végétal)