Une synthèse de 17 essais récoltés de 2009 à 2017 montre la forte variabilité d’impact de couverts de légumineuses sur la productivité du blé tendre. Les données révèlent que les plantes compagnes agissent principalement sur la nutrition azotée de la culture. La régulation de leur croissance reste cependant déterminante au printemps afin de limiter la compétition qu’elles exercent sur le blé.
Les couverts permanents sont communément définis comme des plantes de service pérennes dont le cycle de développement chevauche celui d’une culture commerciale, l’interculture qui suit et le début de la culture suivante. Cette longue période de croissance permet de valoriser au maximum leur intérêt agronomique : structuration du sol, lutte contre l’érosion, stimulation de l’activité biologique, séquestration de carbone, fixation symbiotique d’azote dans le cas de légumineuses, limitation de la croissance des adventices… En revanche, l’un des inconvénients de ce type de couvert est d’être potentiellement compétitif de la culture de vente vis-à-vis de la lumière, des nutriments ou de l’eau du sol. C’est pour mieux comprendre ces mécanismes qu’ARVALIS – Institut du végétal a mis en place depuis 2009 des essais sur blé tendre d’hiver implanté dans un couvert de légumineuse. Ce couvert a été soit détruit durant le cycle du blé, soit gardé vivant jusqu’à la récolte.
Les comparaisons avec et sans couvert permanent ont eu lieu en ayant une conduite culturale la plus proche possible entre les deux modalités. Les doses d’azote étaient par exemple toujours les mêmes. Elles correspondaient soit aux doses calculées selon la méthode du bilan (« X ») et sans prise en compte de la présence d’un couvert, soit à des doses légèrement plus basses (type « X-40 »).
Un rendement du blé corrélé à la biomasse du couvert
Sur l’ensemble des sites, les plantes compagnes ont été implantées de quelques mois à plus d’un an (en association avec le précédent) avant le semis du blé. Les espèces sont des légumineuses, principalement du trèfle blanc et de la luzerne.
Le cas le plus fréquent a été de semer ces couverts en même temps que le colza qui précédait le blé.
Deux types de gestion du couvert ont été réalisés. Soient ils ont été détruits dans le blé, d’octobre à mai, volontairement ou non, soient ils ont été maintenus vivants pendant tout le cycle de la culture. Leur croissance a cependant toujours été régulée chimiquement afin d’essayer de limiter la compétition vis-à-vis du blé.
La synthèse des résultats montre que, toutes situations confondues, la présence d’un couvert n’affecte pas le rendement du blé (100 % des témoins), mais une tendance à l’amélioration s’observe pour les couverts détruits dans le blé (105 %) et à la réduction avec les couverts vivants (97 %). Il subsiste cependant une forte variabilité des impacts (tableau 1) : ± 25 % (si on exclut un cas à – 55 % de rendement). Cette variabilité s’explique en partie par la diversité des situations étudiées et la cinétique de croissance du couvert dans le blé.
De fortes pertes de rendement (31 % en moyenne et jusqu’à 55 %), observées pour quelques couverts gardés dans le blé, ont été associées à une trop forte croissance du couvert au printemps, avec des biomasses atteignant 1 à 2 tonnes de matière sèche à l’hectare à la floraison du blé. L’indice de nutrition azotée (INN) du blé à la floraison était également réduit avec ces couverts (figure 1). À l’opposé, des gains de rendement (jusqu’à 25 %) ont pu être notés dans d’autres situations, avec des couverts tués dans le blé ou gardés vivants mais correctement régulés au printemps par des herbicides sélectifs homologués sur blé. L’INN du blé à la floraison était alors plutôt amélioré avec ces couverts (figure 1).
Les meilleurs gains de rendement procurés par les couverts (tableau 1) correspondent à des situations où la biomasse de ces derniers faisait entre 2 à 5,5 t MS/ha en automne ou hiver mais était très faible au printemps (couverts bien régulés ou tués).
Tableau 1 : Impact des couverts sur le rendement du blé selon leur biomasse au semis et à la floraison du blé
Rendement exprimé en pourcentage de celui obtenu pour le témoin (blé sans couvert permanent), à dose d’azote apporté identique. Synthèse d’essais de 2009 à 2017.
Un impact sur la levée et le nombre d’épis/m²
Au niveau des composantes de rendement, la levée et le nombre d’épis au m² de la céréale sont légèrement inférieurs en présence d’une plante de couverture mais sont compensées par une hausse de la fertilité des épis et du poids de mille grains (PMG). Dans ces essais, le rendement est particulièrement corrélé au nombre de grains au mètre carré.
L’impact des couverts sur la teneur en protéines du blé est quant à lui neutre en moyenne (102 % des témoins, avec une variabilité d’environ ± 13 %).
Un effet sur les fournitures en azote
Les couverts agissent significativement sur l’indice de nutrition azotée (INN) du blé au stade floraison (figure 1), en provoquant une variation de l’INN de ± 0,25. Cet indice représente la satisfaction des besoins en azote du blé, l’optimum se situant à 0,9 ou 1 (les INN sont en général compris entre 0,2 et 1,3).
Les blés dans ces essais n’étaient pas « saturés » en azote, ce qui peut expliquer qu’un écart d’INN soit assez bien lié à un effet sur le rendement. Il est intéressant de noter que les couverts ont affecté dans certains essais le rendement du blé et sa nutrition azotée, bien qu’il s’agisse de couverts de légumineuses. Il s’agissait de situations où les couverts ont été insuffisamment régulés avec un niveau de biomasse de 1 à 2 t/ha de matière sèche au stade floraison du blé. Ces couverts trop peu régulés ont exercé une compétition sur le blé au printemps, à une période où ce dernier a de gros besoins en ressources, particulièrement en azote. Le couvert a probablement profité des apports d’azote minéral effectués, au détriment du blé. Lorsque le couvert est correctement régulé au printemps (moins de 1 t MS/ha), le rendement moyen est de 101 à 105 % des témoins selon le développement des couverts en automne alors qu’il est de 102 à 108 % si le couvert est tué dans le blé (tableau 1).
Figure 1 : Effet de la présence d’un couvert permanent sur le rendement du blé selon le niveau de la nutrition azotée, à fertilisation identique
Rendements exprimés en pourcentage du rendement du témoin (blé sans couvert) ; INN exprimés en écart à l’INN du témoin.
PAS D’ECONOMIE D’AZOTE SYSTEMATIQUE
Des courbes de réponse à l’azote ont été réalisées dans cinq essais, dont un essai avec de l’orge de printemps. Elles permettent d’évaluer la dose d’azote optimale (la plus petite dose d’azote nécessaire pour atteindre le rendement optimal).
L’effet positif des couverts sur le potentiel de rendement des cultures va souvent de pair avec un meilleur indice de nutrition azotée du blé à la floraison. Cependant, sur les 15 comparaisons réalisées, seules trois montrent un décalage de la dose d’azote optimale entre une céréale seule et une céréale sur couvert permanent, mort ou vivant : une montre une baisse de la dose d’azote optimale sur le couvert et deux, une augmentation.
En revanche, le rendement obtenu au niveau du plateau (optimum) est significativement différent dans 8 cas sur 15 : dans la moitié des cas, ce rendement a été augmenté, mais dans l’autre moitié, il a été réduit. Ces résultats confirment la diversité des réponses du rendement du blé à la présence d’un couvert permanent, à dose d’azote identique. Il semble difficile de prédire à l’avance dans quelle mesure le potentiel du blé sera modifié.
On s’attendrait à observer fréquemment une réduction des doses d’azote optimales en présence d’un couvert permanent de légumineuses, en lien avec de plus fortes fournitures d’azote par le sol, d’autant que leur présence est souvent concomitante d’un meilleur indice de nutrition azotée du blé à la floraison. Ce n’est toutefois pas le cas. À l’instar de ce qui est observé sur colza en présence de plantes compagnes, des facteurs limitants du rendement autres que l’azote pourraient être levés, comme l’enracinement de la culture.
Avec les données actuelles, rien ne démontre la pertinence de réduire les apports d’azote en présence d’un couvert permanent sur blé, tant les interactions entre le couvert, le sol et la culture sont variables. Un diagnostic de l’état de nutrition azotée de la culture pendant sa montaison reste le seul moyen utilisable à l’heure actuelle pour déterminer la juste quantité d’azote à apporter.
Moins de fuites d’azote sous les couverts ?
L’impact des couverts permanents de légumineuses sur le reliquat d’azote minéral du sol a été mesuré à plusieurs dates dans les essais, notamment en automne, du semis du blé au début du drainage, et en sortie d’hiver. En automne, la présence d’un couvert permanent réduit significativement la quantité d’azote minéral dans le sol : le reliquat est de 59 kg N/ha sous le couvert permanent contre 92 pour le témoin sans couvert . En sortie d’hiver, les écarts de reliquat d’azote minéral du sol entre un couvert permanent et le témoin sont moins importants.
Cela suggère que des légumineuses pérennes présentes dans des rotations céréalières ont une certaine capacité d’absorption de l’azote minéral présent dans le sol et jouent le rôle de piège à nitrate.
Pas de compétition forte sur la ressource en eau sous blé
On craint souvent une compétition pour l’eau en présence d’un couvert permanent. L’analyse des composantes de rendement tempère cette appréciation. Ainsi le poids de mille grains (PMG) augmente très légèrement en présence de couverts permanents, même quand les conditions de fin de cycle du blé ne sont pas favorables en termes de pluviométrie et de jours échaudants comme en 2015 et 2017. Des suivis de l’humidité du sol sous blé réalisés de 2015 à 2017 n’ont pas montré de consommation plus élevée d’eau en présence de couvert. Ce constat s’explique par la faible biomasse du couvert, sous le blé. La transpiration potentielle de ces couverts reste faible sachant qu’ils jouent un rôle de mulch limitant l’évaporation de l’eau du sol. Le constat peut être très différent un printemps sec si l’on sème un maïs sur un couvert développé, ce dernier ayant déjà transpiré une quantité significative d’eau à ce moment-là par rapport à un sol nu ou un couvert détruit à l’avance.
Jérome LABREUCHE (ARVALIS – Institut du végétal)