Même si cette technique d’ensilage est apparue en France depuis 2015, les seules références provenaient d’essais conduits aux Etats-Unis et en Allemagne. Pour évaluer son intérêt dans les conditions françaises, ARVALIS et ses partenaires l’ont mise à l’épreuve dans deux essais en Pays de la Loire en 2018. Ils confirment que l’ensilage brins longs n’a pas d’impact, bénéfique ou négatif, ni sur les performances laitières, ni sur la qualité de sa conservation.
Eleveurs et techniciens constatent parfois des gaspillages d’amidon avec le maïs fourrage ensilé de façon classique, comme l’atteste la présence de particules de grains dans les bouses. L’éclatement insuffisant des grains de maïs est souvent pointé du doigt.
Les constructeurs proposent depuis peu des éclateurs conventionnels « améliorés » avec des performances d’éclatement supérieures tout en restant dans des longueurs de coupe « courtes » (12 à 18 mm). La technique de l’ensilage brins longs vise elle aussi à obtenir un éclatement des grains intense mais associé à une coupe longue des brins (20 à 30 mm). Elle est majoritairement connue sous le nom de shredlage, mais d’autres systèmes (DuraShredder, XCut…) peuvent équiper les ensileuses. Les éclateurs présentent une configuration spécifique (rainurages en croix) et un différentiel de vitesse plus élevé qu’en ensilage classique.
Pour évaluer objectivement l’impact de l’éclatement du grain et de la taille des brins sur la conservation et la valorisation de l’ensilage, ARVALIS a mis en place deux essais sur les fermes expérimentales de la SAS des Trinottières (49), avec l’appui de l’Institut de l’élevage, et de la Jaillière (44) au cours de l’hiver 2018-2019 .
2 sites d’essais, 3 modalités de récolte et 120 vaches laitières suivies
Sur chaque site expérimental, le maïs fourrage a été récolté en bandes alternées selon trois modalités :
– éclatement faible et brins courts (12-13 mm) avec un éclateur classique (modalité E-) ;
– éclatement élevé et brins courts (13-15 mm) avec un éclateur classique (modalité E+) ;
– éclatement élevé et brins longs (25 mm) avec un éclateur rainuré en croix (modalité SCH).
Ce dispositif a permis d’obtenir des maïs de composition chimique proche, afin de comparer uniquement l’effet des modes de récolte.
Les maïs ont été récoltés à une teneur en matière sèche élevée (35,8 % MS aux Trinottières et 38,5 % MS à la Jaillière), stade auquel le grain contient environ 50 % d’amidon vitreux sur une variété cornée à cornée-dentée.
Sur chaque station, trois lots de vingt vaches laitières (allotées sur leur production laitière, poids vif, taux de matière utile et parité) ont été suivis durant 8 semaines (précédées de 2 semaines de transition alimentaire). Elles ont reçu une ration complète mélangée, distribuée deux fois par jour avec contrôle quotidien de l’ingestion individuelle. Le maïs a été incorporé à hauteur de 67 % ou 72 % de la ration en matière sèche selon les sites (figure 1) . La part de maïs volontairement élevée avait pour objectif d’extrémiser les effets des techniques de récolte. Les rations bâties sur chaque site sont identiques concernant la densité énergétique et protéique pour chaque lot de vaches ; elles ont été construites selon les critères objectifs de respect d’équilibre chimique : les teneurs en amidon restent inférieures à 23 % de la matière sèche ingérée et celles en cellulose brute supérieures à 19 % de la matière sèche ingérée.
Figure 1 : Rations distribuées pour les trois lots de vaches laitières sur les deux stations expérimentales (essais 2018-2019)
Une qualité de conservation équivalente avec l’ensilage brins longs
Certains auteurs mettent en garde sur la qualité de conservation du maïs brins longs. Le tassement serait notamment plus difficile, induisant une densité de silo plus faible (jusqu’à -12 % par rapport à un maïs conventionnel). Or, dans les conditions expérimentales de nos deux stations en silos couloir (55 t MS à la Jaillière, 144 t MS aux Trinottières en moyenne), la densité des silos a été équivalente entre les trois modalités de récolte (figure 2). Ces densités sont toutefois inférieures aux recommandations (220-230 kg MS/m3), mais ce décalage est à relier à une teneur en matière sèche élevée à la récolte.
Figure 2 : Densités mesurées par carottage sur les silos des trois modalités de maïs fourrage sur les deux stations expérimentales
Moyennes de densité issue de 18 points de prélèvement ; les barres verticales traduisent la variabilité de la densité entre les trois périodes de mesure.
E- = Brins courts, éclatement faible ; E+ = Brins courts, éclatement élevé ; SCH = Brins longs, éclatement élevé.
Les profils fermentaires des trois modalités de maïs fourrage ont été évalués par des analyses de conservation en laboratoire. Aucune différence significative attribuable à la technique de récolte n’a été observée sur les différents paramètres étudiés : pH, acides lactique, propionique, butyrique, alcools, ammoniac.
Le niveau d’éclatement du grain du maïs fourrage a été mesuré après récolte en laboratoire par la méthode du CSPS. Les mesures réalisées à la récolte sont conformes aux objectifs de l’essai pour les trois modalités, à savoir inférieures à 50 pour la modalité E- (éclatement faible) et supérieures à 70 pour les modalités E+ et SCH (éclatement élevé). En revanche, après six mois de conservation en silo, le CSPS a augmenté en moyenne de 12,5 points pour les maïs E- et de 6 points pour les maïs E+ et SCH. Après conservation, les granules d’amidon sont plus friables lors du tamisage. Les maïs ont donc été « bonifiés » par le processus de fermentation, et ce, d’autant plus que le niveau d’éclatement était faible à la récolte et la teneur en matière sèche élevée.
Brins courts–brins longs : statu quo pour les performances
Le passage des maïs au tamis Penn State a montré qu’à niveau d’éclatement identique (E+ ou SCH), la seule différence de répartition des particules concerne les grosses fractions (plus de 8 mm). La technique de récolte SCH augmente la part des particules grossières (plus de 19 mm) à hauteur de 20-30 %, contre 5 % pour un maïs conventionnel, au détriment des particules intermédiaires.
Néanmoins, les rations ont été ingérées en quantité équivalente, et le tri des grosses particules n’a pas augmenté avec la présentation du maïs fourrage en brins longs (tableau 1). Quant à l’apport de fibres longues par le maïs fourrage, il n’a pas eu d’effet non plus sur les performances laitières . Malgré le recoupement des fibres dans le sens de la longueur et une potentielle augmentation de leur surface d’attaque, la valorisation des fibres n’a pas été améliorée avec cette technique de récolte. Ces résultats sont concordants avec la bibliographie existante sur les dix essais indépendants réalisés aux États-Unis et en Allemagne.
Et l’effet de l’éclatement du grain sur les résultats zootechniques ?
Dans le contexte des essais (maïs distribué après six mois de conservation), aucun effet du niveau d’éclatement du grain sur les performances zootechniques n’a été observé. Quelle que soit la modalité, les teneurs en amidon dans les bouses ont été assez faibles : inférieures à 4 % de la matière sèche. Toutefois, une meilleure digestibilité de l’amidon a été observée pour les animaux du lot E+ par rapport à ceux du lot E- (+1,2 point à la Jaillière, +2,8 pts aux Trinottières), sans impact sur les performances laitières (tableau 1).
Les connaissances disponibles à ce jour indiquent que la qualité d’éclatement du grain reste importante, notamment en cas de récoltes tardives et d’ouverture précoce des silos. Plus la récolte est tardive, moins l’amidon est dégradable, donc plus le grain doit être bien éclaté, même si l’effet d’un faible éclatement des grains sur la digestibilité tend à diminuer avec le temps de conservation du fourrage. Dans les deux essais, malgré les niveaux d’éclatement faibles du maïs E-, aucun grain n’était intact, ce qui a nécessairement favorisé l’évolution de l’amidon en six mois de fermentation et sa valorisation par les ruminants. Des études complémentaires sont en cours pour vérifier s’il est pertinent de corréler le niveau de CSPS et la durée de fermentation avec la dégradabilité ruminale de l’amidon pour affiner les valeurs UF et PDI du maïs fourrage.
Tableau 1 : Performances zootechniques des trois lots de vaches laitières sur les deux stations expérimentales
MSI : matière sèche ingérée. TP : taux protéique. TB : taux butyreux. Il n’y a pas d’écart statistiquement significatif entre les lots.
Retrouvez en vidéo les éléments à retenir de ces essais :
Hugues CHAUVEAU (ARVALIS – Institut du végétal)