Certains agriculteurs, dont quelques parcelles d’orges ou de blés sont touchées par le gel, se posent la question de valoriser la culture en fourrage. Une solution possible sous certaines réserves.
Utiliser des céréales immatures comme fourrage est techniquement envisageable. Mais l’application récente de produits phytosanitaires sur la culture (régulateurs, herbicides, fongicides) pose en premier lieu la question du délai avant récolte (DAR). Du point de vue réglementaire, il n’existe pas de références spécifiques à ce cas d’utilisation. Les DAR sont généralement fixés à partir d’évaluations toxicologiques sur ce qui doit être récolté (grains dans le cas des céréales à paille et non plantes entières). Il convient, a minima, d’ensiler à une date respectant le DAR le plus contraignant appliqué sur la culture. A titre d’exemple, les DAR des herbicides peuvent varier de 25 à 200 jours ; ceux des fongicides céréales (probablement les derniers produits appliqués sur la culture) de 28 à 60 jours. Dans chaque cas, il faut se renseigner sur les DAR des produits appliqués dans les parcelles avant de prendre une décision (cette information est par exemple disponible dans les dépliants “Protection des céréales”).
Le discours de précaution, au regard du risque toxicologique pour l’animal et la présence de résidus dans les produits animaux, voudrait par exemple qu’un délai minimal de 60 jours après la dernière application d’un fongicide possédant ce DAR soit respecté avant d’ensiler pour couvrir ces risques.
Céréale immature : une valeur alimentaire intermédiaire entre un foin de graminées et du maïs fourrage
D’un point de vue technique, une céréale immature, récoltée à 30-40 % de MS (stade grain laiteux-pâteux) en conditions « normales » de végétation, présente une valeur alimentaire (ensilage) intermédiaire entre un foin de graminée et un ensilage de maïs fourrage (tableau 1). Par ailleurs, ce fourrage présente un encombrement relativement important du fait de sa forte teneur en fibres. De fait, il ne sera pas ingéré à la hauteur d’un maïs fourrage. Il convient donc de rester prudent quant à la volonté de soutenir des niveaux de production élevés (lait, viande) avec ce genre de fourrage.
Cependant, les conditions climatiques totalement atypiques de ce printemps modifient le raisonnement en termes de stades cette année :
• Certains agriculteurs ont envie d’ensiler rapidement pour implanter une culture de printemps. Or, la faible teneur en matière sèche sur pied (~20 % MS) impose une phase de séchage au champ (48h) pour éviter les écoulements de jus au silo et améliorer la conservation et l’ingestion du fourrage.
• Pour ceux qui attendraient le stade laiteux-pâteux, il y a toutes les chances de croire que la teneur en MS ne sera pas tirée vers le haut par le remplissage des grains (peu nombreux voire absents).
En résumé, même au stade grain laiteux-pâteux, il n’y aura certainement pas 35 % MS. Un préfanage sera nécessaire.
Tableau 1 : Valeurs alimentaires de différents fourrages (valeurs en vert sur pied pour les céréales)
Ensilage : une conduite spécifique du chantier
Dernier point important, la technique de récolte intervient également dans la qualité du fourrage.
• Si la présence de grains est suffisante au stade grain laiteux-pâteux pour assurer une teneur en MS d’au moins 30 %, la coupe directe sur ensileuse est possible.
• Sinon, une récolte en deux passages s’impose avec, une fauche puis une reprise d’andains. La fauche est à réaliser avec une conditionneuse à fléaux. Elle éclatera les tiges pour faciliter le séchage et produira un andain ébouriffé qui tient « perché » sur les chaumes et qui est beaucoup plus facile à reprendre à l’ensileuse. Si la fauche est faite avec une faucheuse classique, les tiges de céréales sont trop bien rangées en « rang d’oignons » et passent entre les chaumes, rendant difficile la reprise par un outil ultérieurement ou obligeant à « gratter » de la terre voire en laissant la moitié du fourrage au sol…
• Dans tous les cas, une coupe en brins courts (~2 cm) sera recherchée. Cette longueur de coupe pourra être diminuée pour favoriser le tassement et la conservation si la teneur en MS excède 40 % (on ressent à peine l’humidité dans les mains en serrant une poignée de fourrage).
• La récolte en enrubannage n’est pas recommandée dans ces situations. Le risque de perforations est élevé du fait de la forte proportion de tiges. Dans la mesure du possible, si cette solution est retenue, il est préférable d’utiliser une enrubanneuse en continu ou en monoballe sur site de stockage, cela limite les perforations lors de la dépose de la balle sur les chaumes. A minima, utiliser du filet pour plier les tiges récalcitrantes. Bien évidemment, pour ce type de récolte, un préfanage est nécessaire. Autre point de vigilance en enrubannage : il apparaît difficile de réaliser un préfanage jusqu’à 50-60 % de MS comme il est recommandé pour la bonne conservation en enrubannage. La densité des balles (en kg MS/m3) sera certainement faible et conduira à réaliser un nombre important de balles par hectare. Le coût du chantier devient alors très important au regard de la valeur du fourrage.
Anthony UIJTTEWAAL (ARVALIS – Institut du végétal)
Mots-clés: